La fin de la croisière de la "Belle Etoile". Nous avons raconté comment ce jeune navigateur, parti des bords de la Marne le 4 mai dernier sur son canoé, était arrivé, après de nombreuses aventures à Constantinople.
Empruntant canaux, fleuves, -roulant parfois son canoé sur les routes, visitant Vienne, Budapest, Belgrade, arrivant à la mer Noire le 23 août, essuyant une tempête le long des côtes rocheuses de la Bulgarie, il arrive enfin à Constantinople: Son projet initial comportait un retour par mer.
Marcel Bardiaux vient de rentrer à Paris. Il a résumé ici pour nos lecteurs le récit de son retour mouvementé.
Ayant enfin réussi à gagner Constantinople où je fus admirablement reçu à bord du Théophile-Gautier, par la mer de Marmara et les Dardanelles j'atteignis les côtes de Grèce.
Je passe ainsi Alexandropolis et Cavala sans malheurs, mais casse de nouveau mon canoé en doublant le mont Athos, où la mer est toujours très mauvaise. J'ai beaucoup de peine à gagner Salonique où je suis obligé de m'arrêter trois semaines pour remettre la Belle Etoile en état de poursuivre son long voyage.
Le 22 octobre, je poursuis mon voyage sur le Pirée que j'atteins le 11 novembre après une traversée très mouvementée. J'allai visiter Athènes, et à mon retour je reçus de très mauvaises nouvelles sur l'état de la mer, par les officiers de l'Angkor (paquebot des Messageries Maritimes comme le Théophile-Gautier) qui me déconseillèrent vivement la traversée de l'Adriatique en cette saison avec une telle embarcation. Le commandant me proposa même de me prendre à bord et de me débarquer à Naples, première escale de l'Angkor.
Je me laissai tenter, et pour la première fois depuis le début du voyage, la Belle Etoile navigua sans aucun danger sur une mer courroucée...
Mais à Naples, où je débarque le 18 novembre, la douane n'est pas très aimable,surtout envers les Français, et malgré toutes mes tentatives de conciliation, je n'arrive pas à m'entendre avec elle. Les conditions de débarquement ne sont vraiment pas acceptables: soit payer les frais de douane, qui sont exorbitants, soit laisser bateau et bagages à la douane pendant mon séjour en Italie.
La rage au coeur, sur les conseils du commandant, je me rembarque sur l'Angkor qui me dépose deux jours plus tard à Marseille. Après de touchants adieux, je reprends mon voyage interrompu, à bord de mon canoé.
Contre un fort vent debout, je gagne Sète, puis par le canal du Midi atteins Toulouse, après avoir passé une centaine d'écluses! Là, je fais le portage sur la Garonne, beaucoup plus pittoresque et combien moins monotone que le canal, et en quatre étapes j'arrive à Bordeaux.
A ce moment, je reçois une lettre de ma famille m'annonçant le mois de mars comme date de mon incorporation militaire. Et, consultant mes cartes, je suis obligé de me rendre à l'évidence; il m'est absolument impossible de rentrer par les côtes de l'Atlantique et de la Manche, puis par la Seine jusqu'à Paris, en si peu de temps, surtout en cette saison où il faut compter avec les tempêtes.
Et voici comment je rentrai à Paris par mes seuls moyens: descendant la Gironde jusqu'à Blaye, je renouvelle ma performance d'Allemagne en traînant mon canoé sur son chariot jusqu'à Orléans. La route est bonne heureusement, mais non dépourvue de côtes, surtout aux environs de Limoges. Après trois jours de repos, j'embarque sur le canal d'Orléans (avec les indispensables écluses) qui, à Montargis, me conduit dans celui du Loing.
Aucun danger sur ce paisible canal, mais je passe les trois derniers jours sous la neige et le gel, et je campe toujours. A Saint-Mammès, la Seine en crue me transporte à Juvisy en moins d'une journée. J'y arrive le dimanche 8 novembre et débarque à la Société Nautique de la Haute-Seine à Draveil où je gare mon canoé, pendant mon séjour dans ma famille habitant tout près d'ici.
Je veux mettre mes notes de voyage au point avant d'arriver à Paris, et avancer mon livre qui paraîtra prochainement sous le titre : Un grand voyage sur un petit bateau. Je suis rentré à Paris le 1er mars à bord de la Belle-Etoile et j'ai accosté près du Pont-Neuf où j'ai eu la joie de recevoir l'accueil fraternel de quelques amis et de la presse sportive.
Marcel Bardiaux